La Gazette Mag

La puissance des femmes

Tout indique – chiffres et état des lieux – que, si les femmes à Maurice font preuve d’une puissance qui manque souvent aux hommes, elles ne disposent pas, dans les faits, des pouvoirs correspondants. Cependant leur émancipation est plus que jamais à l’ordre du jour, d’autant plus qu’elles-mêmes sont à l’origine de multiples initiatives visant à faire de ce principe une réalité. – Jean-Louis Floch

Selon divers rapports, il est établi que l’égalité des sexes améliore non seulement la vie des femmes et des filles, mais aussi les perspectives d’avenir des ménages, des communautés et des nations. Lorsque les inégalités diminuent, les enfants sont scolarisés en plus grand nombre, les familles sont en meilleure santé, la productivité économique s’améliore et les revenus augmentent. C’est pour cette raison que la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes est au cœur du mandat du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). C’est même un des ODD (Objectifs de Développement Durable) du PNUD auquel Maurice a souscrit.

Pourtant, lorsque l’on examine son rang dans le Global Gender Gap Index, Maurice est à la traîne. Pire ! De la 88e place en 2006, le pays se retrouve en 2020 à la 115e sur 153… Comment expliquer cette situation ? Mais surtout, comment y remédier ?

La trop lente émancipation des femmes mauriciennes

Le paradoxe est d’autant plus perturbant qu’en 2020, selon Statistics Mauritius, les femmes sont plus nombreuses que les hommes (13 864 femmes de plus en 2020 sur un total de 1 265 740 citoyens mauriciens), elles vivent plus longtemps, elles se marient moins et plus tardivement, elles divorcent plus, mettent moins d’enfants au monde (140 en 2013, 121 en 2020), réussissent mieux que les garçons au HSC et, très logiquement, sont inscrites en plus grand nombre dans des établissements d’enseignement supérieur (55,5 % en 2019)…Ces données pourraient laisser penser à une montée en puissance de l’autonomisation des femmes.

Mais d’autres chiffres montrent les blocages qui affectent l’émancipation des femmes mauriciennes et illustrent le poids encore très lourd de la culture patriarcale… Ainsi, une des causes majeures des divorces est-elle la violence conjugale (augmentation de 9,1 % entre 2019 et 2020)… par ailleurs, les femmes sont sous-représentées dans les domaines scientifiques (1 femme pour 5 hommes) mais sur-représentées dans l’éducation (2 femmes pour 1 homme) ou dans le secteur tertiaire, comme si leur genre les assignait “naturellement” à une activité “pink collar” (col rose) plutôt qu’à une autre ; elles sont plus salariées que les hommes (83,4 % contre 79,4) et moins chefs d’entreprise, elles subissent plus le chômage (notamment chez les moins de 25 ans) alors qu’elles sont cependant plus qualifiées que les hommes. Enfin, les femmes mauriciennes sont sous-représentées aux postes de décision publics (3 femmes ministres sur 24 en 2020) et privés (11,9 % contre 18,6 chez les hommes, et moins payées qu’eux !)…                                                          

Émancipation féminine versus culture patriarcale

En 2021, trois autrices de l’University of Mauritius ­– Verena Tandrayen-Ragoobur, Associate Professor au département Economics and Statistics, Ramola Ramtohul, chargée de cours en sociologie et Christina Chan-Meetoo,  chargée de cours en Media et Communication – ont publié une éclairante étude sur la question de l’autonomisation de la femme mauricienne : The Gender Divides of the Mauritian Society: re-appropriating the empowerment and citizenship discourse.  Leur constat est sans appel et confirme les obstacles à l’émancipation des femmes existant dans la société mauricienne.

L’étude montre que si, depuis l’Indépendance, la situation des femmes s’est améliorée, il reste énormément à faire pour atteindre une situation satisfaisante.

Ainsi, la disparité hommes-femmes est criante sur le marché du travail. La femme mauriciene veut avoir un emploi rémunéré ! Mais le mindset patriarcal de la culture mauricienne assignant les femmes à l’éducation des enfants et aux tâches ménagères, il leur est difficile par exemple, sans un terrible surcroît de puissance (ou un mari intelligent qui partagerait ces tâches ?), de prendre des postes à responsabilités et elles sont poussées à prendre des fonctions subalternes aux horaires réguliers.

Pire encore, elles peuvent se retrouver dans des emplois vulnérables, aidant un mari qui ne les paiera pas le juste prix. C’est le manque de flexibilité du monde du travail à Maurice, reflet en cela de l’état d’esprit patriarcal, qui les contraint souvent à délaisser les hautes responsabilités professionnelles.

Autre obstacle de taille à l’émancipation des femmes : les violences domestiques. La quasi totalité des victimes en sont les femmes et il est stupéfiant de constater que ce nombre a encore augmenté entre 2019 et 2020 ! Il serait bon, d’ailleurs, d’analyser en quoi la recrudescence de ces violences est peut-être une réponse – dramatique – aux toujours plus pressantes revendications d’autonomie des femmes que l’homme mauricien a du mal à accepter…

Cérémonie d’intronisation des nouvelles membres de l’AMFCE en Aout 2021, en compagnie de quelques membre de l’Exécutif de 2021

Une accélération irréversible

Pour qui se penche sur la question de l’émancipation féminine à Maurice, le tableau paraît donc assez sombre. La situation n’est pourtant pas désespérée. Un ensemble d’événements réjouissants permet de penser que l’autonomisation des femmes mauriciennes est non seulement en marche mais en phase d’accélération. Ce mouvement ne s’inscrit plus, comme ce le fut dans les années 70-80, dans une revendication théorique de la reconnaissance de l’égalité des droits des femmes et des hommes puisque cette égalité est officiellement gravée dans le marbre législatif ; il s’agit à présent que son principe soit appliqué concrètement. De multiples initiatives, impulsées par des institutions internationales mais aussi (et surtout !) par des femmes de la société civile, intelligentes et courageuses, venant de tous horizons, laissent penser avec certitude que le pays sortira dans les faits, pour le bien de tous, de l’étouffante routine patriarcale.

On a vu, en introduction, que Maurice a souscrit aux Objectifs de Développement Durable formulés par le PNUD, parmi lesquels figure la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes. Sur cette ligne, de grandes entreprises mauriciennes ont décidé de mettre en œuvre leurs ressources pour atteindre ces objectifs. Ainsi, Vanessa Doger de Spéville, Head of Communication & Corporate Sustainability à la MCB, explique que la grande banque s’est engagée dans un programme de promotion des femmes au sein de l’entreprise: en 2026, 40 % des postes manageriaux devront être détenus par des femmes !

La MCB a la chance d’être une société assez “compacte” pour mettre en œuvre aisément ce programme ; pour d’autres, telles le groupe CIEL, pourtant très engagé également dans la promotion des femmes, l’ambition est plus complexe à réaliser du fait de l’extrême diversité de ses différentes branches : on peut comprendre que l’objectif est plus facilement atteignable dans son secteur bancaire que dans le textile.

Que des grandes institutions publiques ou privées se donnent pour ambition de favoriser la promotion des femmes, c’est bien et on ne boudera pas son plaisir mais il ne faut pas oublier l’essentiel: “C’est la société patriarcale qui freine l’avancement de la femme à Maurice” (Ramola Ramtohul), c’est donc la société qui doit changer. Dans cette hypothèse, les meilleures actrices de ce changement, car les plus concernées, doivent être les femmes de la société civile. Or il n’en manque pas, et toutes douées d’une force de conviction et d’une capacité de travail inouïes ! On en a rencontré quelques-unes qu’on vous présente ici. Grandes et petites opératrices économiques (Association Mauricienne des Femmes Chefs d’Entreprise, Mauritius Institute of Directors, Future Female Invest, Board of Good, etc.), chefs d’entreprise ou simplement femmes de caractère, elles sont conscientes de leur puissance et sont habitées par le désir de partager leurs expériences, d’agir dans un soutien concret à d’autres femmes ou simplement de témoigner de leur parcours personnel pour montrer que le principe d’égalité des genres s’incarne enfin dans la réalité.

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