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Les Charles de Maurice

Le château de Bel Ombre, ancienne demeure de Charles Telfair.

Le 29 avril 1836, sous le commandement du capitaine Fitzroy, le HMS Beagle pénètre dans la rade de Port-Louis. Voilà plusieurs années qu’un homme explore les contours du monde au plus près du tropique du Capricorne. Après avoir égrené les côtes perdues des Îles Cocos, un jeune naturaliste de 22 ans pose le pied à l’île Maurice. Charles Darwin débarque. 

Le 27 décembre 1831, ce novice du monde maritime assoiffé de savoir et fraîchement diplômé de Cambridge parcourt le globe. Le port de Plymouth derrière lui, il admire la faune pittoresque de l’Amérique latine et des Galápagos, la désolation de la Terre de Feu, l’éclat de la flore tahitienne et l’immensité de l’Océanie. Et dire que Darwin tenta de devenir pasteur plutôt que naturaliste! Pas moins de quatre continents sont nécessaires à l’éclosion de son talent où notre Charles scrute, note, schématise et analyse toutes les espèces qui lui sont permis d’observer. Chacune des contrées apporte son lot de nouveautés. Ainsi, que pouvait-il penser de cette perle de l’océan Indien qu’était l’Île Maurice? Qu’allait-il découvrir après le passage remarqué d’un autre naturaliste et botaniste irlandais prénommé également Charles (Telfair) qui avait balisé l’hégémonie scientifique anglaise depuis 1810? Darwin y admire les paysages et la culture portée par de nombreuses librairies et s’étonne de la forte représentation française laissée libre court par les britanniques.

Premier à grimper sur la montagne du Pouce

Surprenant procédé, s’étonne-t-il alors que le pays est sous administration de la Couronne depuis près de trente ans!

Il foule l’île dix jours durant et la paternité de la première ascension de la montagne du Pouce lui sera même allouée après son départ! Quel pied!

Le 9 mai, le Beagle lève l’ancre et poursuit son périple vers le Cap de Bonne-Espérance. De retour en Angleterre en octobre 1836, le naturaliste consigne pendant des années les milliers d’heures d’études accumulées au profit d’un livre révolutionnaire paru en 1859, L’Origine des espèces. Il lui aura fallu deux décennies et un voyage hors norme de près de cinq ans autour du monde avant de produire cet ouvrage essentiel à la théorie de l’évolution, celle de la sélection naturelle qui fit énoncer à Darwin:

Ainsi, ce sont bien nos ancêtres qui sont à l’origine de nos mauvaises passions! Le diable, sous l’apparence du babouin, est notre grand-père.

Du côté de Paris, un général réputé tyrannique, recherche aussi à impulser une évolution chez un autre Charles, Charles Baudelaire qui lui lançait alors
«Homme libre, toujours tu chériras la mer! ». La mer oui, le beau-père un peu moins aurait-il précisé par la suite…Tombé dans un amour condamné à l’échec, il est envoyé pour un lointain voyage à Calcutta par son beau-père militaire, le général Aupick, qui jouant de contacts, initie le jeune poète à l’exil.

Ce sera Maurice à la place des Indes!

Né le 9 avril 1821, ce cher Charles Baudelaire âgé de 20 ans écume les mers et arpente le ponton du navire où un cyclone ne tardera pas à obliger le capitaine à accoster au sein des Mascareignes pour y réparer les avaries. Adieu les Indes. Bonjour Maurice! En septembre 1841, ce poète au regard empli de spleen adepte de quelques à-côtés des plus étonnants (haschich et absinthe s’il vous plait!) foule la capitale mauricienne. Ces dix-neuf jours à Port-Louis décuplent les sens de l’homme de lettres. Il savoure les parfums de l’île et s’imprègne de couleurs qui le marqueront à jamais. La fin de l’esclavage à peine proclamée, Baudelaire s’enchaîne de passion auprès de femmes noires afin de libérer une poésie osée en leur honneur. Il y décrit les hanches généreuses et la volupté sans commune mesure à son Europe natale.

Et si les voyages forment la jeunesse, ils composent le caractère… d’imprimerie également. La plume de Baudelaire ne cesse de harceler l’encrier et ce dernier rédige avec fureur. En 1857, cette influence des Mascareignes sera palpable au sein du recueil de poèmes Les fleurs du mal et une rencontre sera déterminante: celle de la dame créole. Madame Autard de Bragard sera cette «créole» qui, à cette époque, signifiait les natifs blancs des îles. En escale à La Réunion avant le retour sur le vieux continent, les échanges persistent et lors de la publication, l’hommage est assuré par ces premiers vers :

“ Au pays parfumé que le soleil caresse,J’ai connu, sous un dais d’arbres tout empourprés Et de palmiers d’où pleut sur les yeux la paresse, Une dame créole aux charmes ignorés.”

La dame créole peut reposer en paix au cimetière de Pamplemousse, Baudelaire veille à son souvenir.

Vous voulez en savoir plus ?

M. Jean Urruty s’est penché sur le cas du court passage du poète au sein de l’océan Indien où les saveurs des Mascareignes apparaissent de manière indéniable dans Les fleurs du Mal. Cet auteur mauricien disparu en 1982 éclaire, pour celui qui s’intéresse, sur Le voyage de Charles Baudelaire aux Mascareignes.  Aux Éditions Vizavi.

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