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Requin VS Humain : Qui est la menace à Maurice ?

Les attaques de requins ont atteint un niveau record en 2015, avec 98 attaques non provoquées et deux morts dans les eaux réunionnaises, indique l’International Shark Attack File (ISAF). Comparé aux 73 millions de requins tués à travers le monde annuellement, principalement pour leurs ailerons qui finissent dans la fameuse soupe d’ailerons de requins asiatiques, le nombre de morts chez l’Homme semble insignifiant. Donc, posons-nous la question suivante : Requin vs Homme, qui est la menace ? 

Le cinéma, les dessins animés et même les médias ont souvent diabolisé le requin comme étant un animal sanguinaire, qui a pour but de tuer tout ce qui bouge. Mi-février, une vidéo d’un requin attaquant un dauphin blessé par un bateau au large de Tamarin, dans l’ouest de Maurice a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Même si certains internautes clament que « c’est la loi de la nature », d’autres s’indignent contre l’animal et même contre la personne qui a tourné cette vidéo « sans rien faire » pour venir en aide au mammifère en détresse. Quelques internautes critiquent également les marins. Toutefois, c’est le requin qui est le plus critiqué. Les titres des articles ne sont pas en sa faveur non plus : « un dauphin blessé attaqué par un requin » ou encore « UN REQUIN ATTAQUE UN DAUPHIN ». L’on pourrait se demander si un titre du type « Un requin se nourrit au large de Tamarin », aurait suscité la même réaction…
Deux mois plus tôt, en décembre 2015, le gouvernement indique, sur son portail Internet, qu’un Plan d’Action National (PAN) pour la conservation et la gestion des requins est en préparation. C’est ce qui a retenu notre attention. Ce plan d’action est élaboré en ligne avec Plan d’Action International pour la conservation et la gestion des requins (PAI-Requins) de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, Food and Agriculture Organisation). Ce PAN  pour but d’implémenter des stratégies visant à faire en sorte que les captures de requins restent durables, dans les captures directes ou indirectes aux requins. Il vise également à soutenir les résolutions de la Commission des Thons de l’Océan Indien (CTOI) demandant l’utilisation des leaders en nylon sur des palancres ne ciblant pas les requins et la remise à l’eau de ces derniers sans les blesser. Il est également question de contrôler l’accès des bateaux de pêche exploitant les requins et améliorer la collecte de données et le suivi des espèces de requins. Cependant, le ministère de la Pêche n’a pas encore émis d’informations quant à la mise en place de ce plan d’action tant attendu.

La population de requins ne cesse de diminuer

Entre-temps, les observateurs de la faune et la flore sous-marines et les plongeurs professionnels sont inquiets quant à la diminution du nombre de requins dans nos eaux. Ils attendent impatiemment ce PAN-Requins, surtout pour faire face à la constante diminution du nombre de requins dans le monde et dans nos eaux. « L’océan Indien était l’océan le plus peuplé en requins de toutes espèces. En arrivant ici (NdlR : à Maurice), je me faisais une joie de pouvoir enfin plonger et observer les requins. Grosse désillusion ! Il n’y a plus ou presque plus de requins », s’indigne Brice Cohadon, directeur du centre de plongée Pro Dive Mauritius, à Trou-aux-Biches. Selon ce dernier, la population des requins dans les eaux mauriciennes a plus que diminuée. « J’en parle souvent avec les membres de mon équipe, qui ont commencé à plonger à Maurice depuis plus de 20 ans. Pour eux il est clair que les rencontres, autrefois plutôt régulières, sont réduites à néant depuis longtemps déjà! Je constate simplement que les requins se sont éloignés des côtes pour trouver des ‘refuges’ un peu plus au large, où l’on observe pas plus d’une dizaine de requins à la fois. Si l’on peut en voir trois ou quatre c’est déjà très bien. »

Les ailerons de requins, un marché lucratif

La pêche illégale pour le commerce d’ailerons de requins est la principale raison imputée à cette baisse. « En premier, ce n’est plus un scoop, la consommation d’ailerons de requin », avance Brice Cohadon. Pour sa part, Hugues Vitry, directeur du centre de plongée Blue Water Diving Center à Trou-aux-Biches et président de la Marine Megafauna Conservation Organization, affirme que le problème ne date pas d’aujourd’hui. Selon lui, il y a quinze ans, l’on pouvait voir des bateaux étrangers dans le port de Maurice, en train de faire sécher des ailerons de requins parmi leurs vêtements. « L’état mauricien, pendant de nombreuses années, avait donné le droit à des bateaux taïwanais, coréens et asiatiques en général de pêcher dans nos eaux. Bien sûr, ce n’est plus le cas. Le gouvernement  a pris des dispositions pour que cela s’arrête. Toutefois, le mal était déjà fait. »

« Plus de 100 millions de requins sont pris chaque année. Heureusement, des dénonciateurs ont mis le public et les autorités au courant. Des actions ont été prises et les autorités, notamment l’Union européenne, ont émis des directives pour la protection des animaux. Avant les pêcheurs attrapaient les requins et leurs enlevaient les nageoires avant de les balancer, sans nageoire dans l’eau. L’animal agonise et meurt. C’est horrible ! » L’attention de l’opinion publique a été attirée sur ces crimes de nombreuses fois dans les médias locaux et internationaux. Tous ceux interrogés sur cette pratique dans nos eaux, indiquent que les pêcheurs mauriciens ne s’y adonnent pas. Les risques seraient trop grands et ils craignent des représailles de la part des autorités. Cependant, lors d’une visite dans un grand restaurant spécialisée dans la cuisine chinoise dans le nord de l’île, la soupe d’ailerons de requins est bel est bien au menu et coûte entre 450 et 1 250 roupies. Líaileron de requin braisÈ co˚te pas moins de 2 250 roupies par personne. C’est ce qui explique l’engouement pour ce commerce, mais nous ne pouvons pas confirmer si les ailerons utilisés proviennent de l’importation, comme l’indiquent les restaurateurs.

Les nageoires de requin sont l’ingrédient essentiel de la soupe aux ailerons de requin. Suite à l’augmentation de la demande depuis les années 1980, les nageoires de requin font désormais partie des produits de la pêche les plus rentables au monde. À Hong Kong, les nageoires transformées peuvent se vendre à plusieurs centaines d’euros le kilo. La différence entre la valeur des nageoires et celle de la viande de requin constitue une incitation économique à la pratique du finning, qui consiste à découper les nageoires d’un requin et à rejeter la carcasse à la mer, représentant ainsi un véritable gaspillage. L’UE, en particulier l’Espagne, est l’un des plus grands fournisseurs au monde de nageoires de requin en Asie de l’Est.

La pêche fait des dégâts

D’autre part, la pêche industrielle « qui ratisse sur des kilomètres tout ce qui passe, juste pour une espèce de poissons qui les intéressent » est une grande cause de la réduction de la population des requins. « Généralement ils pêchent le thon. Le reste, les tortues, les requins, les baleines, les dauphins et j’en passe, sont rejetés à la mer mort ou agonisant», avance Brice Cohadon. En effet, les prises accessoires, c’est-à-dire la capture accidentelle d’espèces non ciblées, constituent un problème sérieux pour les raies et les requins dans la plupart des pêcheries. Le taux de prises accessoires dépend du type d’engin de pêche, ainsi que de l’endroit où il est utilisé et de la manière de l’utiliser. L’ange de mer commun et le pocheteau gris d’Europe sont désormais en danger critique d’extinction, notamment du fait des prises accessoires par des chaluts de fond non sélectifs. Les requins peau bleue ont longtemps représenté une part importante des prises accessoires dans les pêcheries communautaires de thon et d’espadon à la palangre pélagique mais, aujourd’hui, on constate de plus en plus que les pêcheurs les ciblent directement. « Les raies et les requins, en particulier, ont souvent été́ qualifiés par les pêcheurs et les gestionnaires de la pêche de ‘simples prises accessoires’ et, de ce fait, ont vu leurs besoins en matière de protection minimisés et négliges », indique un rapport de Shark Alliance, une coalition d’ONG dédiée à la restauration et la conservation des populations de requins en améliorant les politiques de conservation, fondée en 2006. Ainsi, il y a un réel impact néfaste de grandes sennes sur les populations de requins et d’autres espèces marines. Les ONG appellent à durcissement de la réglementation et de la suppression progressive des grands filets.

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