Maurice a célébré le 21 mars dernier, dans le sillage de la Journée internationale de la francophonie, un des plus grands textes de la littérature, poème et manifeste, lui ouvrant la porte sur un monde nouveau. Ce soir-là, le poète mauricien Michel Ducasse lançait avec le lyrisme et la complicité bienveillante du comédien et metteur en scène Jacques Martial, sa propre traduction en kreol morisien du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. Dominique Bellier
Plusieurs auteurs créolophones, tels que Raphaël Confiant, ont traduit le texte fondateur du mouvement de la négritude, sans aboutir à une publication. La version en kreol morisien fait œuvre pionnière en ouvrant une brèche dans l’espace créole. Cette publication chez Vilaz Metis est une première mondiale, qui bénéficie de la bénédiction de l’éditeur Présence Africaine, qui a abondamment publié Césaire.
Chaque langue créole a sa propre musique, elle façonne un monde particulier dont elle est aussi le fruit, quelques-unes parviennent à communiquer entre elles. Gageons que d’autres versions créolophones verront désormais le jour. Le très beau titre, Dan balizaz barlizour, est la traduction d’une expression récurrente du texte de Césaire, « au bout du petit matin » qui revient comme une lueur d’espoir. Ce choix a la vertu de montrer le pouvoir métaphorique du kreol morisien.
Michel Ducasse se remémore en préface sa propre découverte du Cahier, alors qu’il préparait son doctorat en France. « Au bout de cette lecture qui m’a pris à la gorge et qui m’a laissé haletant, vacillant et vaincu, j’ai compris qu’il allait me rester encore un long chemin à parcourir pour trouver ce souffle poétique, cette verve incandescente, cette brûlure dont on ne sort jamais indemne. »
Publiant ce texte à seulement 26 ans, le poète martiniquais avait mis la barre haut, par son érudition linguistique, son lyrisme et sa grande exigence intellectuelle. Césaire avait de la folie et du génie. Comme son ami Senghor, quelques années après ce révoltant zoo humain qu’avait été l’exposition coloniale de 1931, Césaire bouillonnait de l’intérieur. Il prenait conscience de l’impérative nécessité de dire la force et l’intelligence du peuple noir et de délivrer un message humaniste dans cette Europe de 1939 qui courait à sa perte sous le joug nazi. « La poésie de Césaire est un volcan qui est toujours prêt à se jeter dans le fleuve, dit encore Michel Ducasse. Elle nous apprend à ne pas nous taire devant les puissants… »
Jumelé au baptême du Prix Goncourt de Maurice, ce lancement s’est déroulé à l’IFM devant un amphithéâtre comble. Les musiciens Samuel Laval et Patrick Desvaux ont accompagné la tessiture magnétique du plus grand chantre du Cahier, Jacques Martial, qui interprète ce texte à travers le monde depuis 22 ans, et les intonations chaloupées du kreol de Michel Ducasse… Martial s’inquiète d’une concordance des temps entre septembre 39 quand le cahier est paru et mars 2025 : « J’espère ne va pas revivre des moments comme septembre 39… »