Danielle Palmyre a été frappée en plein coeur par la catastrophe écologique qui a touché son île au mois d’août dernier. Cette coach de vie, passionnée d’écriture et de théologie, a voulu coucher ses maux sur le papier à la suite du naufrage du Wakashio. Un poème poignant, qui malgré la tristesse d’une situation inédite, sublime les souvenirs d’enfance d’une habitante attachée à son île. Comme une ode au vivre ensemble mauricien.
De la théologie à l’écriture, en passant par le coaching, il n’y a finalement qu’un pas. Car Danielle Palmyre est l’une de ces femmes aux multiples facettes, sensible et passionnée. Après avoir fait des études de théologie, et travaillé durant plus de trente ans dans la formation, elle est aujourd’hui retraitée, mais ne s’est pas pour autant arrêtée. Elle qui a toujours aimé travaillé avec les autres exerce aujourd’hui en tant que coach, et anime également des ateliers d’écriture. “Pour moi, ce sont des lieux d’expérience et de partage avec les autres, où l’on échange autour des textes que l’on produit ensemble”, nous confie-t-elle.
L’écriture est très présente dans la vie de Danielle, qui voit en cette pratique une fonction cathartique : “J’aime le processus de l’écriture, ça a une dimension thérapeutique qui est très importante, on ne cherche pas consciemment à se guérir mais cette fonction est là. L’écriture a beaucoup à voir avec notre vie intérieure, c’est un acte très intime, et la magie c’est que cet acte peut toucher beaucoup de gens et devenir quelque chose d’universel”, explique-t-elle.
Quoi de plus évident, alors que la côte sud de son île était tâchée de noir, que de s’exprimer à travers sa plume, aussi belle que boulversante. Elle nous confie son attachement viscéral à Maurice : “En tant que Mauricienne, j’ai un rapport très particulier avec ce pays. C’est peut-être parce que c’est une île et qu’on est peu nombreux, que les choses se vivent avec beaucoup d’intensité. Quand cette catastrophe est arrivée, tous les Mauriciens, dans notre chair, nous nous sommes sentis souillés par cette marée noire. Je pense que c’est cet amour viscéral et cette peine que j’ai ressentis qui se sont exprimés dans ce poème, et c’est ce qui m’a donné l’inspiration”, ajoute-t-elle. Ce poème, sans titre, comme pour traduire l’état de sidération de l’auteure au moment de son écriture, fait aussi honneur aux souvenirs d’enfance de Danielle, qui a grandi à Mahebourg. Cette marée noire, “C’est comme une blessure faite à mon enfance, à mes souvenirs. Nous avons tous une histoire avec la mer, la plage, les récifs, ce lagon…” Mais à travers ce texte, l’auteure souhaite aussi sublimer le mauricianisme, cet art du vivre ensemble qui s’est ressenti plus fort que jamais au lendemain de la catastrophe: “ce n’est pas par hasard que ce soit notre mer qui nous ait réuni ainsi. C’est quelque chose de magique, c’est comme si nous nous étions révélés à nous-même pour faire quelque chose de grand de beau, c’était un élan du coeur. On était tous dans le même bateau, c’était une vraie expérience de communion”, se souvient-elle à propos de l’élan de solidarité national qui a eu lieu après le naufrage du Wakashio.
J’aurais souhaité n’avoir jamais connu ton nom
n’avoir jamais soupçonné ton existence
n’avoir jamais vu ton profil hideux
couché sur la beauté de mon récif
Je suis entre larmes et colères
entre cris de douleur et cris de guerre
Tu craches de tes entrailles trouées
ta noire cargaison mortelle
Je prends entre mes doigts
le sable noir
je prends mes oiseaux protégés
mes plantes endémiques
mes mangroves
mes coraux
mes poissons
Je ne sais où est parti
le bleu de mon lagon
et le toucher
de mon sable blanc et tendre
Je ne veux pas désespérer
je ne veux pas me noyer
dans le chagrin de mes cheveux coupés
de mes bouées flottantes
fétus de paille
dans un océan d’incertitude
couronnes d’amour
tressées en ton honneur
par mille mains
aux mille couleurs
Je veux rester debout
sur les Falaises rouges
sur Mahébourg
l’Ile aux Aigrettes
l’Ile aux Cerfs
et presser contre mon cœur
chacun des lieux
de mon Sud aimé
Je veux rester debout
apporter mon aiguille
dans la botte de paille
mon seau dans le sang noir
qui coule de mes veines
mes larmes pour purifier
au goutte à goutte
ma mer aimée
jusqu’à ce que le bleu
resurgisse du chaos
et éclabousse de joie
ce champ de désolation
Danielle Palmyre
10 août 2020